«
Dis maman, tu viens à ma représentation, hein? »
Mme Holloway, la tête plongée dans ses dossiers et l'esprit ailleurs, a du mal à se concentrer sur sa fille de dix ans, qui se tient près d'elle depuis cinq bonnes minutes. «
Maman! », insiste la fillette en tapant du pied sur le sol. Elle n'a pas pour habitude de faire des caprices, comprenant parfaitement que la dose de boulot que sa mère doit régler est énorme: Pourtant elle n'en peut plus. Cette fois, c'est trop. «
Oui, quoi ma chérie? », demande la plus âgée en se tournant enfin vers sa progéniture, lâchant une seconde son dossier du regard. «
Ma représentation. Mon spectacle de danse, samedi...Tu viendras, n'est-ce pas? »
Isabelle Holloway soupire et passe sa main dans ses cheveux bruns aussi ondulés et beaux que ceux de sa fille. «
Oh, j'avais complètement oublié! Désolée ma puce, mais je suis en congrès ce week end, je ne serais même pas en ville. » «
Quoi?! Mais ça fait des mois que la date du spectacle est arrêtée! Je t'ai même prévenue une fois par semaines depuis un mois et tu m'as toujours dit que tu te libérerais! » Isabelle n'eut même pas l'air de se sentir coupable, mais juste légèrement blasée. Elle souffla et retira ses lunettes, l'air fatiguée soudainement. «
Je sais Juliet, mais tu dois comprendre que mon boulot est important: C'est bien grâce à lui que tu peux avoir ces cours de danse, d'ailleurs. » Blessée, Jules recula d'un pas, les larmes brûlant ses yeux. Elle se détourna alors et croisa les bras.
«
Et a quoi ça sert que je prenne ce genre de cours si c'est pour que personne ne vienne m'applaudir à la fin, après avoir vu les progrès que j'ai fais? » Isabelle voulut répondre, mais Juliet fut plus rapide et tourna les talons, avant de sortir comme une fusée du bureau. Elle claqua la porte derrière elle et se réfugia ensuite dans sa chambre. Là, elle retrouva sur son lit son énorme collection de peluche: Elles proviennent du monde entier, souvenirs éphémères que ses parents lui ramènent de leurs voyages d'affaires et de leurs réunions. Juliet se jette sur son lit et vient serrer ses peluches dans ses bras. Fort. Pourtant ce n'est pas nouveau. Elle devrait être habituée au fait que ses parents refusent ou n'aient pas de temps à lui consacrer: Mais la fillette ne comprend pas. Si le travail devait passer avant elle, pourquoi est-ce qu'elle était venue au monde, en réalité? N'ayant ni frère, ni soeurs et ses cousins vivant tous aux Etats-Unis, Juliet n'avait comme qui dirait personne à fréquenter, mis à part ses amis du cours de danse et à l'école. Mais une fois les murs des établissements franchis, elle était seule. Désespérément seule.
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Juliet reste figée. Elle ne sait pas quoi faire, à part se tenir là, droite comme un "i". Elle est seule à la maison, comme souvent et elle en a l'habitude...Mais là, elle aimerait avoir quelqu'un auprès d'elle. Quelqu'un a qui elle pourrait crier la nouvelle qu'elle vient d'apprendre. Quelqu'un qui pourrait la prendre dans ses bras et la consoler, lui dire que tout va bien aller. Mais il n'y a personne: Personne à part elle et ce fichu test, coincé dans sa main droite. Ses doigts tremblent d'ailleurs tellement qu'elle est obligée de le serrer assez fort pour pouvoir y voir les lettres apparues sur le petit écran: "Enceinte".
Enceinte. Elle est enceinte.
Enceinte à deux mois de ses dix huit ans.
Fébrile, elle attrape son téléphone et compose le numéro de la personne qu'aujourd'hui, elle aime le plus au monde et qu'elle a une peur panique de perdre. Et, après avoir collé le téléphone à son oreille, il décroche. Sa voix. Juliet l'aime tellement, sa voix. En fait, elle aime tout ce qui le constitue: Tout ce qu'il est. Ses qualités, ses défauts, elle prend tout. Il lui demande comment elle va, et Juliet ne peut que pleurer, encore et encore. Elle est si heureuse et malheureuse à la fois! A l'autre bout du fil, elle entend sa voix, paniquée et il lui promet qu'il viendra le plus vite possible.
Promesse qu'il a tenu, en se montrant devant sa porte à peine dix minutes plus tard.
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Lorsque Juliet se réveille, elle trouve le lit vide. La place à côté d'elle n'est pourtant pas encore froide, signe qu'il vient sûrement de se lever, le plus discrètement possible afin de ne pas la déranger dans son sommeil. Elle sourit. Voilà longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi sereine et heureuse. Calme et forte. Tout en poussant un soupire, elle repousse les couvertures avant de se lever: Son ventre aurait-il encore poussé pendant la nuit? Certainement. En tout cas, elle a l'impression de grossir de jours en jours: mais c'est bon signe. Aujourd'hui, elle en est a à peine cinq mois: et son ventre commence réellement à s'arrondir. Tout devient alors plus réel. Plus vrai. Plus officiel. Et ça la rend heureuse, parce qu'elle est avec le père de son enfant, qu'ils vont fonder une famille. Ils sont jeunes, d'accord: Mais ils sont prêts. Après avoir appris sa grossesse, le petit ami de Juliet a tenu à prendre toutes ses responsabilités: Et un mois plus tard, il l'a même demandée en mariage. Il voulait faire les choses bien, sans même se sentir forcé et c'est ce qui a rendu Juliet le plus heureuse. Malheureusement, le bonheur vient toujours en la compagnie de sa némésis, le malheur. Pour le coup, c'était les parents de Juliet, qui s'opposaient fermement à tout ça: Le bébé, l'union. Le fait d'être parents à dix huit ans. Ils voulaient que Juliet fasse de grandes études, qu'elle devienne chirurgien, ou avocate. Quelque chose du genre. Mais pas maman. Ils voulaient donner le bébé à l'adoption et faire en sorte qu'elle continue sa vie: C'est cette décision, prise complètement à sa place, qui a fait peur à Juliet...C'est sûrement à ce moment là qu'ils ont décidé de s'enfuir. Alors tous les deux majeurs, ils ont fait leurs valises et sont partis pour s'établir ici. Aussi loin que possibles de leurs parents, de leurs familles et des gens qui pourraient les juger. Ayant toujours vécu dans un cocon bien protégé, Juliet a été forcée de s'habituer à vivre seule, sans domestiques, dans un tout petit appartement. Et elle a du trouver un travail, aussi: Mais bizarrement, ça lui plait. Elle adore sa vie, qu'elle n'a que depuis deux mois. En sortant de la chambre, elle entend du bruit provenant de la cuisine. Son sourire ne quitte pas son visage alors qu'elle sent l'odeur des toast et du bacon. Et il est là, au beau milieu de la pièce, avec son visage encore tout endormi, une tasse de café à la main. Il la voit et lui sourit alors qu'elle s'approche pour le serrer dans ses bras.